Un cri d'espérance : Discussion autour de Au cœur de l'épreuve

Publié le : 2016-07-12 10:33:08

Un cri d'espérance : Discussion autour de Au cœur de l'épreuve

Un cri d'espérance

Discussion autour de

Marianne Guéroult

Au cœur de l'épreuve, Trouver en soi la source

(Paris, Empreinte, Temps présent, 2016, 116p)





Objet du livre:



La pasteure luthérienne française Marianne Guéroult est une battante. Elle en a affrontés, des défis, y compris celui d'assumer, entre 2009 et 2014, la direction du Projet Mosaïc de la Fédération Protestante de France (FPF). Mais les abîmes de souffrance auxquels peuvent conduire la bataille contre le cancer sont d'un autre ordre. On n'est plus dans le défi de faire, cette "culture des exploits" qui marque notre société de performance. On se situe dans le défi d'être. De vivre. De ne pas se perdre. Préfacée par Francine Carrillo qui salue sa "belle authenticité" (p.11 à 13), Au cœur de l'épreuve témoigne du combat d'une femme meurtrie par la brûlure du cancer avec la douleur, la solitude, l'impuissance. Avec profondeur, sensibilité, justesse et, dirons-nous, une grande noblesse, Marianne Guéroult décape en quelques pages les couches de vernis de nos évitements et de nos conforts. Elle fait mouche. On n'en sort pas indemne. Livre puissant! Dans l'introduction (p.15 à 18), elle rappelle comment son itinéraire de femme de foi, touchée par la vocation pastorale, s'est trouvé percuté par la maladie, l'appelant au témoignage, avec cet espoir: "que mes mots, pour dire mes maux, rejoindront et réconforteront celles et ceux qui les liront" (p.18). Le premier chapitre, émaillé de citations bibliques (Job 21,4-6; Matthieu 26,38...) raconte "La maladie, traversée du désert" (p.19 à 34). Le second chapitre s'interroge: "En quel Dieu est-ce que je crois?" (p.35 à 47), ouvrant à ce "Pourquoi ?" du troisième chapitre (p.49 à 57), tremplin vers "La relation à l'autre" (titre du chapitre 4, p.59 à 65). Les séquences "L'amour" (p.67-71), "Lâcher prise, avoir confiance" (p.73-80), "L'attente, puis la veille" (p.81-86), La Parole de Dieu" (p.87-92), "Oh pardon !" (p.93-99), débouchent sur le chapitre final "Je crois, viens au secours de mon absence de foi!" (p.101-108), parachevé par une conclusion (p.109) et des remerciements. D'une plume limpide, émaillée de poésie, l'auteure nous prend par la main sans jamais nous brusquer, vers un "déplacement intérieur" (p.89).



Au coeur de l'épreuve, trouver en soi la source



Question posée par ce livre: renoncer au contrôle

Une des questions posées par le livre, qui rejoint une longue tradition spirituelle, est celle du "lâcher prise", face à une souffrance dont on ne connaît pas la raison. Dans un monde obsédé par le contrôle, où Google peut géolocaliser n'importe qui, la voie du "lâcher prise" ne va pas de soi. Mais elle indique notre renonciation à l'illusion de la toute-puissance, et ouvre sur des forces insoupçonnées. Accepter de ne pas connaître l'origine du mal, accepter de ne pas maîtriser la maladie, ni la cure, accepter le doute devant les prêts-à-penser (y compris ceux d'un certain christianisme), n'est-ce-pas accepter de se délester de fardeaux trop lourds pour nous? C'est aussi "quitter un lieu, une situation, pour aller vers autre chose et non pas vers rien" (p.89). L'auteure, au travers de cette expérience, nous en présente une des conséquences, pour elle, dans le rapport à Dieu: "Je pense qu'il existe une différence entre le Dieu en qui je crois et le Dieu en qui j'espère. J'ai perdu le Dieu en qui je crois, en qui je croyais. Mais je crois, j'en ai la conviction, que je n'ai pas perdu le Dieu en qui j'espère" (p.109).


Au coeur de l'épreuve




Question posée au livre:


Dans la démarche d'authenticité spirituelle de Marianne Guéroult, le croire dogmatique, arrimé sur des certitudes et des "y’a-qu'à", se trouve interrogé au profit du doute, et de l'importance de l'amour donné. En protestante, l'auteure cite l'Écriture, et nous rappelle que le doute est étayé par bien des passages de la Bible, y compris le tragique "Mon Dieu mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné" (Matthieu 27,46) qui passionne et interroge les exégètes depuis près de deux mille ans. La foi, pour elle, ne repose plus sur CROIRE, mais sur ESPOIR. Elle refuse l'injonction des "il faut", "il faudrait", "tu dois", pour préférer "trouver en soi la source" (sous-titre de l'ouvrage) et tenter la confiance en dépit des évidences de la souffrance.



Comment ne pas témoigner respect et admiration pour cette force puisée, avec dignité, au plus profond de la vulnérabilité? Sans souhaiter, ni comparer, ni hiérarchiser, l'historien relèvera, en alternative à ce choix, l'option un peu différente qu'avait choisie, en son temps, le pasteur Adolphe Monod, confronté à la douleur et au déclin physique. Dans Les adieux, un "best-seller" de la francophonie protestante sur la question de la fin de vie1, il affirmait quant à lui: "Il peut entrer quelques fois dans les vues du Seigneur de nous laisser crier un certain temps sans réponse, sans consolation, sans qu'un pauvre petit rayon détaché vienne éclairer notre détresse. C'est alors qu'il faut se nourrir de la foi seule, et avec Jérémie, avec David, et avec tous les saints éprouvés de la sorte, l'attendre, lui demander pourquoi il se cache, et malgré le nuage qui nous le dérobe, ne jamais douter de lui". Accent et formulation un peu différente, mais convergence: derrière le nuage trompeusement opaque, il y a l'espérance.


Sébastien Fath, GSRL (EPHE/CNRS),



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