En 1965 est publiée la déclaration Nostra Aetate, issue des travaux de Vatican II sur relations de l'Église catholique avec les religions non chrétiennes, dont le judaïsme. L’horreur de la shoah vient de provoquer une remise en cause de ses théologies et affirmations sur les juifs. Et ces derniers se méfient …

Réflexions juives sur le christianisme
Thérèse M. ANDREVON et William M.KRISEL (sous la direction de)
Editions Labor et Fidès - 2021
256 pages – 19,00 €
Où en est-on aujourd’hui ? Sur le chemin d’un dialogue dont on discute de moins en moins l’utilité, les Editions Labor et Fidès éditent des contributions juives et chrétiennes dans un ouvrage intitulé « Réflexions juives sur le christianisme », sous la direction de Thérèse M. ANDREVON et WilliamM.KRISEL (qui traduisent également les textes juifs, jusqu’alors inaccessibles en français.)

Thérèse M. ANDREVON William M.KRISEL
Réflexions juives car la première partie du livre contient quatre textes d’auteurs juifs de sensibilités différentes, s’exprimant sur le christianisme, sur près d’un demi-siècle :
- 1964 « Confrontation » de Joseph Ber SOLOVEITCHIK, essai complexe qui pose des conditions telles au dialogue avec l’Eglise qu’il aboutit en pratique au rejet par l’orthodoxie juive de toute conversation judéo-chrétienne.
- 1966 « Aucune religion n’est une île » de Abraham Joshua HESCHEL, vision personnelle et audacieuse d’une voix juive reconnue s’adressant à un public protestant, qui encourage les juifs à initier avec les chrétiens un travail commun, respectueux et exigeant sur le plan intellectuel.
- 2004 « Partenaires de l’Alliance dans un monde postmoderne » de Irving GREENBERG, propos marqué par ses rencontres personnelles avec les chrétiens, qui défend la nécessité de comprendre en profondeur leur religion.
- 2019 « Supersessionisme dur et modéré » deDavid NOVAK, invitation à des échanges sincères à partir des convictions de chacun et du sens de l’appartenance religieuse.
Les auteurs de ces textes appartiennent au mouvement orthodoxe moderne ou au mouvement massorti. Pour comprendre les conséquences de ces affiliations, l’introduction générale du livre rappelle les positions de différents courants religieux du judaïsme vis-à-vis des non-juifs.
Chaque texte juif est précédé d’une courte introduction présentant son contenu et les prises de positions de son auteur. Ces introductions, qui permettent au lecteur d’aborder les textes avec quelques clés de lecture, sont rédigées par :
- Christian RUTISHAUSER, (théologien jésuite, spécialiste de la philosophie juive et du dialogue judéo-chrétien), pour « Confrontation », qu’il conseille de lire en y distinguant le permanent et le temporel.
- Jonas JAQUELIN, (rabbin, enseignant de la mouvance libérale), pour « Aucune religion n’est une île ».
- Alon GOSHEN-GOTTSTEIN, (rabbin, titulaire d’un doctorat dans le domaine de la pensée rabbinique) pour « Partenaires de l’Alliance dans un monde postmoderne ».
- David MEYER, (rabbin, spécialiste de la littérature rabbinique, de la pensée juive, de la littérature midrashique et de l’éthique juive qu’il enseigne dans plusieurs universités), pour « Supersessionisme dur et modéré »
Dans la seconde partie du livre, trois théologiens chrétiens, de traditions différentes, s’expriment à leur tour sur ces textes :
- Christophe CHALAMET, (protestant réformé, professeur de théologie systématique à Genève) se centre sur l’unicité de l’alliance et rappelle en conclusion la thèse de Paul d’une seule racine et d’un seul plant sur lequel a été greffée une nouvelle branche.
- Luc FORESTIER, (prêtre catholique, enseignant-chercheur en ecclésiologie à Paris)choisit de façon transversale les thèmes qu’il juge essentiels pour construire une théologie catholique de la permanence d’Israël : la prise en compte de l’histoire, les hésitations sur la mission, les analogies ecclésiastiques et la pluralité des figures de l’accomplissement.
- Alexandru IONITA, (prêtre orthodoxe et enseignant-chercheur en Roumanie) réagit, tout en soulignant que la pensée orthodoxe n’a pas encore réfléchi à la plupart des points soulevés et que l’attachement du peuple orthodoxe à sa liturgie – en dépit de traces antijuives manifestes - compliquera l’amorce d’un dialogue.
De nombreuses questions sont discutées par ces théologiens, notamment :
- La théologie de l’unique alliance - la nouvelle alliance n’est pas une seconde alliance - dont les conséquences sur les rapports entre judaïsme et christianisme sont toujours débattues.
- Le supersessionisme - affirmation selon laquelle l’Eglise est désormais le peuple élu et a supplanté le peuple juif - avec sur le sujet des positions juives radicales ou modérées et un revirement théologique catholique après la Shoah
- La théologie de l’accomplissement qui exige d’autres voies d’interprétations pour rendre compte de la nouveauté chrétienne.
Si l’ouvrage traite des relations entre juifs et chrétiens sur le plan théologique, d’autres enjeux y sont parfois présents.
Ce livre est structuré avec méthode, les exposés sont clairs, les notes d’édition et les titres ou sous-titres constituent des repères appréciables.
Une lecture à ne pas manquer !
Brigitte EVRARD