Raoul Allier : Un prédicateur en temps de guerre

Publié le : 2016-06-27 10:19:16

Raoul Allier : Un prédicateur en temps de guerre

Raoul Allier

Un prédicateur en temps de guerre 1914-1917

Contre la résignation

Daniel Reveix

La Cause, 151 pages, 10€





L’auteur, ancien pasteur aux Antilles, actuellement aumônier militaire au sein de la région Hauts de France et doctorant en histoire des civilisations, nous propose avec «Raoul Allier» un premier livre dont on espère qu’il sera suivi de plusieurs autres. Le sous-titre de l’ouvrage indique qu’en l’occurrence il ne s’agit pas d’une biographie mais de la relation d’une action que mena Raoul Allier au cours des trois premières années de la guerre de 1914-1918.

Toutefois l’auteur commence, à bon escient, par situer Raoul Allier dans son cadre historique et intellectuel. Il naît en 1862 à Vauvert (Gard), dans une famille et un pays protestants. Il effectue de brillantes études et sort de l’Ecole Normale supérieure à 23 ans, agrégé de philosophie. Tout en étant très indépendant d’esprit, il s’inspira de plusieurs personnalités : deux antérieures à lui, Alexandre Vinet (1797-1847), pour la séparation des églises et de l’EtatCharles Secrétan (1815-1895), pour le droit des femmes, et deux qui lui furent proches,Tommy Fallot, pour le christianisme social, et Charles Péguy, pour le combat en faveur de Dreyfus. Après quelques années dans l’enseignement d’Etat, il est nommé professeur de philosophie aux facultés de théologie protestante de Montauban puis de Paris. Il considère cette fonction comme un véritable apostolat. En outre, tout en refusant d’adhérer à un parti, il mène deux combats politiques, le christianisme social et la défense de Dreyfus : en janvier 1898, au même moment que l’article de Zola, J’accuse, il publie Voltaire et Calas : une erreur judiciaire1. Parallèlement à ces engagements, il participe à l’activité de la Société des Missions Evangéliques tout en condamnant les abus de la colonisation : Les chrétiens partis pour les pays lointains y sont allés souvent pour panser les plaies qui étaient faites par des compatriotes, écrit-il.


Raoul Allier


En août 1914, il apprend la «disparition» de son fils aîné, Roger, au front, sans qu’on sache s’il est mort ou prisonnier. Comme philosophe et chrétien il va surmonter sa douleur par la parole et donner des conférences dans divers temples de Paris, d’octobre 1914 à mars 1917. Il s’agit en fait de véritables prédications d’où le sous-titre du livre. Ces conférences n’étaient pas écrites mais ont été publiées grâce aux notes prises par des auditeurs et soumises à l’appréciation du conférencier. En réalité, on ignore si Raoul Allier s’est véritablement arrêté d’en donner après cette date ou si elles n’ont pas été éditées en raison de la pénurie et du surcoût du papier.

L’auteur présente les principaux thèmes traités par Raoul Allier dans ses «prédications». Il en relève cinq : la mobilisation et le silence de Dieu, la «brutalisation», les rôles féminins, «une faillite du christianisme ?» et le lien entre le front et l’arrière, plus un sixième qui sous-tend la plupart des prédications : la justification de la guerre. Tous ces thèmes ont un fonds commun, d’une part l’horreur d’une guerre extrêmement destructrice. (310 000 Français tués au cours des cinq premiers mois) et d’autre part la renaissance d’un patriotisme ardent.

Une question taraude Raoul Allier Comment est-il possible qu’après vingt siècles de prédication de l’Evangile, la religion de l’amour se solidarise avec ce qui est la négation de l’amour? En effet, il n’y a pas un seul peuple dans notre Europe si fière de sa civilisation, même dans ses parties qui se disent chrétiennes, il n’y a pas un seul peuple qui ait échappé à la contagion de ce mal. Et tout en gardant une touche d’espérance, il rappelle à son auditoire la fragilité de la foi trop souvent soumise à nos contingences personnelles.

Ces conférences hebdomadaires connurent un succès toujours croissant et furent envoyées aux aumôniers sur le front où elles furent très appréciées. Il ne les interrompit que pendant quelques mois, à la suite de la découverte du corps de son fils en mai 1916, par peur d’avoir du mal à gérer les éléments de sympathie.



En conclusion, il s’agit d’un petit livre tonique, présentant un aspect passionnant mais méconnu2d’un grand nom du protestantisme français de la Troisième République.


Bernard Steinlin


1 Réédité par Ampelos en 2012

2 cf «Dictionnaire biographique des protestants français» de Patrick Cabanel et André Encrevé, Les Éditions de Paris Max Chaleil, 2015

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