Publié le : 2023-01-17 14:53:33
Catégories : Recensions
Voilà un sujet qui occupe l'esprit de nombreux chrétiens : Que faire de l'Ancien Testament ? Comment l'interpréter ? Comment rendre compte de ces textes dérangeants qui nous semblent à première lecture contradictoires avec d'autres textes du Nouveau Testament ? Les auteurs de ce livre ont choisi de répondre à cette question à partir de deux personnalités de l'antiquité peu connues du grand public : Marcion et Origène. Ces deux auteurs qui ont vécu respectivement au 2 et 3 siècles ont tous deux abordé cette problématique au travers de démarches opposées : "Marcion lui [l'A.T.] conteste toute autorité normative, Origène en propose une lecture allégorique" (p. 8).
Que faire de l'Ancien Testament ? Marcion et Origène répondent,
Pierre Prigent (avec la collaboration de Gabriella Aragione et Claude Mourlan), Olivetan, 2022, 178 p. 16 €
Autrement dit, pour Marcion l'A.T. ne peut en aucun cas être reçu comme un texte inspiré par le Dieu que nous a révélé le Christ, car l'A.T. décrit plus un démiurge mauvais, qui commande aux hommes des actes en contradictions avec la vie et l'enseignement du Christ, il est un Dieu vengeur, vindicatif. Quant à Origène, il prend comme acquis l'autorité de ce texte mais à partir d'une lecture "spirituelle" de l'A.T. afin de se dégager de sa gangue littérale et en donner ainsi le sens véritable.
Pierre Prigent
La préface montre le processus qui au cours des 3 premiers siècles a conduit à préciser la notion d'hérésie, un écart avec une norme doctrinale précisé par Ignace d'Antioche, Justin et surtout Tertullien. La première partie du livre (G. Aragione) s'attache à la théologie de Marcion et aux raisons qui l'ont poussé à rejeter l'A.T. En réalité c'est plus la théologie et les idées véhiculées dans l'AT que Marcion rejette et c'est toute la première partie du livre qui le démontre avec ce titre provocateur "Marcion : hérétique ou réformateur?"
Le dernier chapitre du livre (C. Mourlan) donne un aperçu de la lecture allégorisante d'Origène en analysant ses homélies sur le livre de la genèse et sur celui de Josué et en comparant cette lecture avec celle historico-critique du XXI siècle. C. Mourlan en déduit qu'Origène "se montre plus sensible à la réception de ses destinataires (auditoire de sa prédication) qu'à la source même de son inspiration (le texte biblique) " (p. 152). C. Mourlan pense qu'Origène "donne le sentiment d'instrumentaliser son travail exégétique au service d'un message théologique" (p. 152). La raison est qu'Origène cherche constamment à voir Christ dans tous les détails du texte pour en donner une lecture exhortative à son auditoire et du coup "il se contente de peu pour annoncer beaucoup" (p. 169). Par exemple dans son commentaire sur le déluge il développe longuement sa description de l'arche pour y voir des applications pour l'Eglise et il passe sous silence un point essentiel du récit :le signe de la nouvelle alliance qu'est l'arc en ciel.
2 remarques :
- Il est regrettable que ce soit surtout la postface, partie la plus courte du livre, qui aborde le thème "Que faire de l'AT ?". C'est en tous cas le titre qui est mis en avant en première de couverture.- On pourra regretter que nos auteurs n'ont comme seule grille de lecture de l'AT, une méthode historico-critique comme si celle christologique d'Origène - qui a cependant l'appui des auteurs du NT - était artificielle ou en quelque sorte, déconnectée du texte. Même s'il est vrai que dans l'exemple donné sur sa prédication sur le texte du déluge, ce soit effectivement le cas.
- Je note aussi une conception de l'autorité du texte biblique où c'est le lecteur qui donne au texte son autorité : "L'autorité de la Bible n'est elle pas de l'ordre non pas de ce qui s'impose mais de ce qui doit sans cesse être discerné" (p. 173, c'est nous qui soulignons). Il y a là, me semble t'il, une confusion entre le statut accordé ou pas à un texte (son autorité objective), et le travail d'interprétation (aspect subjectif) qui est de la responsabilité de tous les lecteurs d'un texte et qui doit être pleinement assumée quel que soit le statut donné au texte étudié.
En conclusion : un livre fort intéressant pour connaitre la théologie de Marcion qui fut injustement caricaturée. Très utile aussi pour comprendre ce que fut pour Origène l'interprétation allégorique d'un texte dans ses homélies avec dans la postface de C. Mourlan de bons exemples de l'exégèse utilisée par Origène.
Thierry Rouquet
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