Publié le : 2016-03-14 10:40:48
Otage de marque
Antoine Billot, Gallimard 2016, 19 €, 256 pages
Voici ce qu’on appelle en anglais un «biopic», ni un roman (même si l’auteur le qualifie ainsi), ni une biographie, plutôt un essai fictionnel de la vie d’un personnage célèbre. Sur la base de faits connus, en se fondant sur des traits de caractères de personnages célèbres , ce livre est le «roman vrai» d’une tranche de la vie de Léon Blum, un des principaux hommes politiques de la IIIème République, Président du Conseil sous le Front Populaire , haï en sa qualité de juif par beaucoup d’acteurs du régime de Vichy.
Antoine Billot est un économiste de 54 ans, universitaire réputé dans ce domaine, qui a notamment écrit, dans des genres différents, en 2013 «Barrès ou la volupté des larmes», en 2007 «Monsieur Bovary», et en 2003, «le désarroi de l’élève Wittgenstein» (collection «l’un et l’autre», Gallimard).
En mars 1943, Léon Blum est livré aux Allemands par le régime de Vichy qui l’avait retenu prisonnier depuis septembre 1940. Le plus emblématique représentant de la gauche française de l’époque, personnage de roman comme François Mitterrand, représente à la fois un prisonnier de marque et un otage possible. Transporté à Buchenwald, il est plus précisément détenu à quelques centaines de mètres, au Falkenhof, l’ancienne fauconnerie de Himmler. Dans ce local, est aussi présent un autre «otage de marque», Georges Mandel, ancien ministre de la IIIème république, dont les relations avec Blum, qui lui est politiquement proche, sont complexes. Dans le contexte de leur vie de prisonniers, ils sympathisent, écoutent des concerts à la radio, ou prennent leurs repas en commun. Arrive ensuite, Jeanne Reichenbach, le dernier grand amour de Léon Blum, qui envers et contre tous le rejoint dans sa prison: ils se marient en octobre 1943. Enfin, le, quatrième personnage du roman, un jeune prisonnier, un Témoin de Jéhovah, chargé de l’intendance, Joaquim Escher. Le sort des otages, qui reste décent, est empoisonné par… l’ennui. Progressivement néanmoins, l’angoisse devient de plus en plus lourde. Après l’assassinat du collaborationniste Philippe Henriot, les Allemands, en représailles, viennent chercher Georges Mandel qui sera assassiné. Blum, ayant vu partir Mandel vers sa mort évidente, n’a pas peur, mais «il est, se dit-il avec un certain accablement, le locataire provisoire d’un vaste abattoir, il attend dans la travée, au milieu de ses semblables, que son tour arrive».
Le roman est remarquable par la description subtile de la faculté d’adaptation et parfois du désespoir empreint de sérénité des personnages :
Le ciel est léger, la maison silencieuse, Joaquim se dit en essuyant les verres que le Falkenhof ressemble à une musique qui aurait découvert une fois pour toutes sa cadence.
Otage de marque est d’abord un roman d’amour, qui montre comment ce qui aurait dû se limiter à un exil intérieur se transforme en combat de survie grâce à l’attachement de Léon et de Jeanne. Il rend hommage à la passion de Jeanne, un amour inconditionnel pour Little Bob. Car Léon Blum, dans sa jeunesse, était appelé par ses amis le petit Bob, Little Bob: Little Bob ouvre la grande valise qu’il trimballe de château en forteresse depuis qu’il a quitté Bordeaux […].
C’est aussi une évocation réaliste, effrayante et vraisemblable à de nombreux égards, d’une période particulièrement pénible de notre histoire nationale, fondée sur l’évolution d’un homme aussi complexe que fascinant, Léon Blum.
Voici pour cette double raison un beau livre, captivant, lyriquement écrit, rempli de descriptions réalistes et suggestives. Un biopic qui fait honneur au genre.
Mireille Cornud