Publié le : 2023-05-16 14:00:34
Catégories : Recensions
Professeur de philologie patristique, journaliste et éditorialiste, Giovanni Maria Vian raconte dans son dernier ouvrage comment les ‘livres de Dieu’ ont été écrits, lus et transmis jusqu’à nous en utilisant des chemins parfois bien indirects. Les livres de Dieu, Brève histoire des textes chrétiens est une version condensée, révisée et mise à jour de Bibliotheca divina, écrit par Vian ily a déjà 20 ans. Avec érudition, Vian emmène le lecteur dans les dédales de l’histoire de la transmission de ces textes, pour un voyage de plus de deux millénaires entre l’Orient et l’Occident. De ce fait, ce parcours d’environ 250 pages ne peut être que dense, ce qui demande une lecture attentive mais stimulante.
Les livres de Dieu, Brève histoire des textes chrétiens.
Giovanni Maria Vian, Paris : Editions Salvator, 2021. 20.80 €
Dans son premier chapitre introductif, Vian pose le cadre de son étude qui se situe au croisement des disciplines de l’histoire et de la philologie. Il tente d’y raconter l’histoire « de la tradition culturelle chrétienne » (p.7), prenant en compte les textes bibliques devenus sacrés mais aussi tous les autres textes qui les traduisent, les commentent. De plus, il considère les écrits qui ont permis la transmission de ces œuvres, toujours entre l’histoire et la philologie. Son corpus est nécessairement vaste et pas entièrement défini.
Dans ce premier chapitre, Vian souligne quelques problématiques qui sous-tendent cette histoire et reviennent sous différentes formes à chaque époque, notamment le lien entre le christianisme et la culture, la notion plutôt vague de ‘culture chrétienne’ ou ‘identité chrétienne’ ainsi que le thème de l’universalisme et de la vocation œcuménique du christianisme.
Giovanni Maria Vian
De nombreux fils et thèmes s’entrecroisent au fil des chapitres suivants qui explorent ces questions de manière chronologique, des origines du texte biblique à nos jours. La plus grande partie de ces chapitres (6) est consacrée à l’Antiquité, la période de spécialisation de l’auteur. Un chapitre retrace ensuite l’évolution au Moyen-Âge, un autre concerne l’humanisme à la Renaissance et les deux derniers se concentrent sur l’évolution des Temps Modernes à l’Epoque Contemporaine. Le livre se clôture par une note bibliographique reprenant les sources principales ainsi qu’un index analytique utile pour mieux naviguer dans le texte.
Au travers de ce parcours historique, le lecteur a un aperçu de la continuité et des liens tissés entre les époques et régions, parfois à l’encontre des ruptures que l’on projette sur ces différentes périodes. Vian remet également en contexte certains mythes comme l’âge sombre du Moyen Âge ou encore le ‘miracle irlandais’, montrant par là même les nuances qui doivent être envisagées.
Cet ouvrage retrace donc l’histoire de grands lecteurs, de chercheurs infatigables (de codex, de manuscrits), de traducteurs, de philologues et d’écrivains prolifiques. Le lecteur y (re)découvre de nombreux écrits et auteurs, et peut se rendre également compte de tout ce qui a été perdu. Par exemple, le recueil de recensions de Photius au IXème siècle, qui allie sens critique et sensibilité philologique, concerne des ouvrages maintenant perdus. Encore une fois, le choix des auteurs et oeuvres étudiés sont liés à leur intérêt du point de vue philologique et non théologique.
Parmi les très nombreuses personnalités citées dans cette histoire, Vian s’attarde, pour n’en citer que quelques-uns, sur les apports d’Origène et en particulier de sa grande entreprise des Hexaples, d’Eusèbe à l’origine de la première histoire ecclésiastique, de Jérôme avec sa vie emblématique et son œuvre foisonnante et influente (entre ses lettres, son De viris illustribus qui marque le début de l’histoire de la littérature chrétienne et sa traduction de la Bible, la Vulgate) et bien sur d’Augustin. Dans la deuxième partie de son livre, Vian mentionne notamment l’importance de nombreux humanistes dans le développement d’une approche philologique et critique des textes, en particulier du Nouveau Testament (on pense entre autre à Bessarion, Lorenzo Valla ou encore Érasme de Rotterdam). L’auteur met également en avant des initiatives plus collectives comme le travail des mauristes dans la transmission des pères de l’Eglise ainsi que le travail d’abord hagiographique des bollandistes. Enfin, il souligne le travail exceptionnel de Jacques-Paul Migne, prêtre entrepreneur au XIXème siècle qui a publié des éditions à bon marché des écrits des pères de l’église et qui est précurseur de toute une série de collections qui ont vu le jour et continuent leur travail actuellement.
Dans Les livres de Dieu, une attention particulière est également portéeaux bibliothèques, à leur constitution, leur évolution et leur rôle prépondérant dans la transmission des textes étudiés. Des premières bibliothèques d’Alexandrie et Césarée avec notamment le travail considérable du bibliothécaire Pamphile aux bibliothèques des monastères avec le travail des copistes et les manuscrits qui voyagent, Vian montre comment ces centres culturels et intellectuels ont permis la diffusion, la lecture et la conservation de nombreux textes. Au Moyen-Âge, le phénomène de la translittération (passage de l’écriture en lettres majuscules aux lettres minuscules) a provoqué une perte de livres anciens qui une fois copiés étaient abandonnés et perdus. Le rôle prépondérant des imprimeurs et éditeurs à la Renaissance avec la révolution de l’imprimerie est ensuite longuement discuté. Le lecteur découvre également comment le pape Nicolas V, « le plus authentique des papes humanistes » (p.179), a travaillé et a donné l’impulsion nécessaire à la bibliothèque papale qui devient l’une des plus importantes de l’époque. Ainsi durant la période humaniste, les « livres [sont] recherchés et trouvés, lus et traduits, copiés et transmis » (p.182) avec une vitalité nouvelle et une conscience critique. Le rôle des bibliothèques est également considérable et pérennisé au cours des siècles suivants. De façon surprenante, elles ont également été aux XIXème et XXème siècles le lieu de nombreuses découvertes de manuscrits que l’on croyait perdus (en plus de ceux trouvés dans le désert, des histoires à rebondissements).
Les livres de Dieu, Brève histoire des textes chrétiens est donc avant tout l’histoire à découvrir d’un héritage qui se transmet, se traduit, se perd, se redécouvre et s’altère. La seconde partie du livre laisse le lecteur un peu sur sa faim quant au choix nécessairement limité de l’auteur sur son corpus. On n’y trouve ainsi que peu d’indications sur l’évolution de la transmission de ces textes en Orient et les dernières années (fin XXème, début XXIème siècle) sont peu abordées. Néanmoins, cela reste un livre passionnant pour ceux qui souhaitent découvrir cet héritage des textes chrétiens sous un angle historique et philologique.
Marie Holdsworth
Présentation du livre par l'auteur :