Publié le : 2018-02-07 10:25:37
Catégories : Recensions
Les Juifs au temps de Saint Louis- Juliette Sibon
Collection : présences du judaïsme
Albin Michel, 2017
168p - 8,90€
Ecrit par une historienne réputée et faisant partie d’une série dirigée par le professeur Mireille Hadas-Lebel de l’Université Paris IV-Sorbonne, ce petit livre est une mine de renseignements précieux sur l’Histoire de France du XIIe au XIVe siècle, et pas seulement sur Louis IX, dit Saint Louis,. Le fil conducteur de la période étudiée, qui s’écoule de Philippe Auguste à Louis X, est la construction du pouvoir politique, et donc du pouvoir royal, sur un territoire encore mal contrôlé. Le cas des Juifs est un révélateur parfait des conditions de cette construction.
L’antisémitisme, dont notre siècle connaît les ravages, semble absent à l’époque de Saint Louis, où sévit néanmoins un antijudaïsme actif. La grande crainte de l’Eglise catholique romaine est l’apostasie, d’où sa demande de séparer les Juifs des Chrétiens (comme le favorise le port d’un signe vestimentaire distinctif) et d’empêcher les mariages mixtes.
Le 4e Concile de Latran de 1215 en est un exemple frappant. Mais pour Saint Louis, les conversions forcées n’ont aucune valeur et il n’est pas question pour lui d’éradiquer la pratique du judaïsme dans son royaume. Ce qui importe à ses yeux, et ce que démontre le livre, c’est sa volonté de contrôler ses sujets. Tous ses sujets. Ce qui l’amène parfois à des conflits avec le pouvoir ecclésiastique et certains feudataires. L’enjeu principal est politique, économique et fiscal !
L’ouvrage de Juliette Sibon est remarquable en ce qu’il permet de lutter contre les clichés habituels : un Saint Louis bigot, expulseur des hérétiques. La « grande ordonnance » de 1254 a bien existé mais a surtout servi d’épée de Damoclès permettant de mieux rançonner les Juifs de France avant le départ pour la croisade.
Le siècle de Saint Louis semble bien davantage un âge d’or pour les Juifs de France. Un exemple frappant est celui de la théologie du XIIIe siècle, qui voit nombre d’exégètes chrétiens introduire des apports tossafistes (les rabbins de l’époque) dans leurs analyses de l’Ancien Testament. Les références chrétiennes distinguent pourtant prudemment entre « Hebrei » et Judei », les premiers étant seuls acceptables.
Des différences notables existent toutefois entre les provinces du sud et du nord du Royaume. L’intégration socio-économique des communautés juives est étudiée avec beaucoup de précisions, dans le cadre d’une géopolitique du territoire. Le maintien de l’ordre public prévaut, y compris si cela passe par la protection des Juifs contre les exactions des Pastoureaux. L’ouvrage démontre que l’attitude de Louis IX est beaucoup moins linéaire que ce qu’a indiqué l’hagiographie postérieure. Le vivre ensemble est une réalité pendant la plus grande partie du règne.
Une excellente bibliographie, une carte, des notes judicieuses et de nombreux exemples précis nous permettent de cheminer à travers une période bien éloignée et souvent mal connue du lecteur. Cet ouvrage de synthèse reste à mon avis très accessible et permettra certainement de corriger certains préjugés.
Arlette Sancery