Le lavement des pieds. Recherche sur une pratique négligée

Publié le : 2016-02-09 11:08:35

Le lavement des pieds. Recherche sur une pratique négligée

Le lavement des pieds

Recherche sur une pratique négligée

Corinne Egasse

Collection Christianismes antiques, Labor et Fides, 2015, 341 p., 45 €









«Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres» (Jn 13,14). L’auteur, membre de l’Église Adventiste, fait partie des chrétiens qui appliquent cette parole de Jésus à la lettre en pratiquant régulièrement le lavement des pieds, généralement dans le cadre de la Cène. Toutefois, une telle pratique régulière reste minoritaire dans les Églises contemporaines qui y voient plutôt une invitation au service ou à l’humilité.

Le lavement des pieds

Partant de ce constat, l’auteur a voulu explorer les racines de la pratique – ou plutôt de la non mise en pratique – du lavement des pieds dans le christianisme. Construit autour du récit central de Jean 13, l’enquête présente tout d’abord l’arrière-plan juif et gréco-romain, se lance dans l’exégèse des textes du Nouveau Testament, et détaille ensuite la réception chrétienne du récit johannique durant la période patristique (2e au 5e siècle ap. J-C.).

L’étude de la littérature juive ancienne ou gréco-romaine montre que la pratique courante du «lavement des pieds» peut revêtir différents sens: au-delà de la nécessité hygiénique de se laver les pieds, proposer le lavement des pieds est une marque d’hospitalité. Laver les pieds d’un autre est aussi un symbole de servitude. Dans un contexte religieux, il peut avoir un rôle de purification rituelle.

Les textes du Nouveau Testament sont ensuite commentés. Après avoir étudié l’épisode de la femme lavant les pieds de Jésus (Lc 7,36-50 et Jn 12,1-8), et avant d’aborder la mention du lavement des pieds par les «veuves» (I Tm 5,10), l’auteur aborde l’épisode central de Jean 13. On pourra s’étonner de la rapidité avec laquelle Corinne Egasse écarte l’interprétation la plus commune de l’épisode: en effet pour l’auteur, le lavement des pieds des disciples par Jésus n’est «pas une manifestation d’humilité», car «le vocabulaire de l’humilité […] n’existe pas chez Jean» (p. 96). Il me semble au contraire que le quatrième Évangile nourrit le paradoxe: c’est à la croix que le «Fils de l’homme est glorifié» et c’est par sa mort que se manifeste la «vie éternelle» (Jn 12,23-26). N’est-ce pas justement en prenant l’humble rôle du serviteur qui lave les pieds que Jésus est «glorifié» comme «Seigneur» (Jn 13,13-16 et 13,31)?

La suite de l’ouvrage va détailler les différentes interprétations du lavement des pieds par les Pères de l’Église. L’auteur s’attarde particulièrement sur l’exégèse allégorique d’Origène (milieu du 3e siècle) qui lit Jean 13 dans un «sens spirituel»: le lavement des pieds représente la manière dont Jésus «purifie» ses disciples par «l’eau» de sa parole.

Le lavement des pieds

Les éditions Labor et Fides publient ici la thèse de doctorat de Corinne Egasse, soutenue à la Faculté de théologie de Lausanne en juin 2014. L’ouvrage est donc relativement technique et intéressera premièrement les pasteurs, les chercheurs ou les passionnés habitués à lire des études de ce niveau. Cependant, malgré l’aspect «académique» de l’ouvrage, tout a été fait pour le rendre accessible à un public plus large: les textes grecs sont systématiquement traduits, le style est agréable à lire, et les références bibliographiques sont soigneusement sélectionnées. Au fil du texte, Corinne Egasse prend le temps de guider le lecteur en introduisant et en situant les auteurs qu’elle commente. Elle ne se prive pas de citer de longs extraits des nombreux textes anciens qu’elle étudie, ce qui facilite encore davantage l’accès à cette littérature antique. A travers cette enquête passionnante, couvrant les premiers siècles du christianisme, le lecteur pourra ainsi découvrir (ou redécouvrir) la manière dont l’Écriture était interprétée par les grands exégètes de l’époque patristique.


Le côté académique a aussi un avantage: l’enquête est précise, minutieuse, fouillée et à la pointe de la recherche. Le lecteur francophone a le privilège d’avoir à sa disposition l’ouvrage de référence sur la question du lavement des pieds dans le christianisme antique. Le prix qui, au premier abord, peut paraître élevé, reste raisonnable pour la publication d’une thèse dont la rédaction représente l’aboutissement de plusieurs années de recherche. Il est d’ailleurs bien inférieur à celui pratiqué par des éditeurs comme
De Gruyter ou Mohr Siebeck pour des ouvrages académiques du même calibre.


Timothée Minard


Illustration : 
Panneau de retable par un anonyme .Mayence. Vers 1400   Germanisches Nationalmuseum

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