Publié le : 2016-06-28 11:39:33
Rémy Hebding
Pierre Bayle, Une foi critique
Olivétan, 2016, 135 p., 14 €
Le lecteur protestant attaché à la démocratie se réjouira de retrouver Pierre Bayle, trop méconnu dans notre histoire des philosophes et des prémices de la République. Il ne se présente certes pas comme un idéologue bardé de certitudes mais comme un acteur discret, chercheur de paix et de tolérance, un peu comme le fut Spinoza. Ce petit livre montre que les réformés ne furent pas des activistes engageant sur tous les terrains de nouveaux combats. Pierre Bayle, au moment de commencer ses études, se convertit au catholicisme... et cela ne dura qu’une année.
Au collège protestant de Puylaurens il retrouve la foi de ses pères, mais ne se contente pas de l’exprimer comme une théologie convenue : sa critique touche aussi bien l’ordre de la société dans laquelle il vit. Il donne à penser à la laïcité et à la séparation des pouvoirs. Exilé à Rotterdam il ne cesse de faire prévaloir des idées qui lui valent l’opposition radicale de l’ordre clérical de France. Son frère cadet sera emprisonné à Toulouse dans des conditions de totale inhumanité et Pierre Bayle se demandera toujours si, par la publication de ses écrits, il n’est pas responsable de sa mort.
On sera étonné de la pertinence en notre temps des nombreuses questions qui déstabilisent les points de vue établis sur l’athéisme, le mal, le rapport entre foi et raison, l’oppression intellectuelle. La liberté de penser, d’écrire et de critiquer trouve avec Pierre Bayle des voies qui annoncent les Lumières sans se départir des solides convictions de la foi réformée. Il y a de quoi être reconnaissant pour un modeste ouvrage qui situe un auteur trop oublié du XVIIe siècle parmi les composantes de notre République et de la créativité de la Réforme.
Serge Guilmin
Libresens n°226, juillet-août 2016
Luther et la Réforme protestante
Olivétan, 2016, 194 p., 18 €
Le 500e anniversaire de la Réforme protestante, inaugurée en 1517 par Martin Luther et ses 95 thèses sur les indulgences, va être l’occasion de publications et manifestations nombreuses en Europe et dans le monde. Avec la course en tête des meilleures ventes et les concurrences éditoriales, il vaut mieux prendre de l’avance. L’avalanche luthérienne a commencé, comme il y a quelques années le tsunami calviniste. Et dans cette abondance de société riche en experts et en diffuseurs, il faut bien faire des choix.
C’est pourquoi je donnerai une priorité au livre ci-dessus annoncé. Il est la réédition, revue et augmentée par l’auteur, du même titre paru en 2011 chez Eyrolles : cette maison d’édition est connue pour son art qui combine l’exigence intellectuelle, la distance religieuse et le souci pédagogique. Nous avons donc avec notre éditeur protestant un ouvrage très recommandable à tous égards. Voici pourquoi.
L’approche proposée de Luther et de la Réforme protestante, par l’auteur qui est professeur agrégé d’allemand, a la double garantie de la bonne connaissance des sources et d’une objectivité historique précise. Les citations, même non référées, sont du meilleur Luther avec son humour percutant.
Autant les cartes géographiques sont illisibles, autant les encarts récapitulatifs et les diverses chronologies sont parfaits.
Je relève trois points qui méritent attention et discussion.
D’abord, l’auteur ne cache pas que les deux sacrements du sacerdoce universel et de la communion chrétienne, le baptême et l’eucharistie, font problème tant dans le protestantisme qu’avec le catholicisme.
Ou encore : l’antijudaïsme religieux et théologique de Luther et du Moyen Âge n’a rien à voir avec l’antisémitisme racial des temps modernes.
Enfin, nous aurons eu le tableau vivant, très nuancé mais jamais ennuyeux, de ce luthéranisme qui est tout à la fois évangélique et confessant, mais aussi protestant et plus sociopolitique qu’on ne le pense.
Luther aura été un grand inspirateur de l’actualité œcuménique et sociale, dont nous avons encore à tirer les conséquences. Un beau trait d’union entre 1517 et 2017...
Michel Leplay
Libresens n°226, juillet-août 2016
Pour une bonne gouvernance dans les églises
Sous la direction de Michel Bertrand, Samuel D. Johnson, Célestin G. Kiki
Olivétan, 2016, 206 p., 16 €
La fonction prophétique de l’Église est un classique des manuels d’exégèse et de théologie, un trait récurrent des liturgies et des articles de presse religieuse. Mais la traduction pratique dans les faits reste discrète voire anecdotique. Quant à diriger sur elles-mêmes ce regard prophétique, mettant en lumière les problèmes de gouvernance ou de gestion financière, indicateur de l’inefficacité ou de la corruption, la rareté des publications ou des actions menées effectivement fait ressortir l’importance de cette nouvelle publication de la Cevaa - Communauté d’Églises en mission, rendant compte du courage des concepteurs du processus de réflexion, d’analyse et de propositions à mettre en œuvre. Ayant organisé des séminaires régionaux pour les 35 églises ou unions d’églises protestantes implantées en Afrique, en Amérique latine, en Europe, dans l’Océan indien et dans le Pacifique, la Cevaa propose dans cet ouvrage les apports des intervenants au cours des rencontres organisées à Paris, Porto-Novo (Bénin), Tahiti et sur l’Ile Maurice en 2014. Les exposés autant que le travail des groupes ont montré que les églises sont confrontées aux problèmes de gouvernance humaine et financière tout autant que les états des pays où elles sont implantées, qu’elles rencontrent des difficultés à prendre une parole pertinente et engagée dans l’espace public, et que dans certaines régions les femmes n’occupent pas encore des positions de responsabilité.
Nous avons ici une contribution novatrice par son approche originale articulant les problèmes d’autorité et de pouvoir avec ceux provoqués par la gestion des conflits, sur fond d’analyse d’éthique politique et d’exégèse biblique. C’est une méthodologie typique de la Cevaa, privilégiant l’animation biblique comprise comme la démarche du peuple de l’église s’appropriant dans l’étude et le partage le texte sacré fondateur de sa foi et de son engagement dans la société.
La pédagogie de l’ouvrage est particulièrement soignée : chacune des trois parties est précédée d’une introduction présentant en fait le résumé des contributions qui suivent, en sorte que le lecteur peut cerner d’emblée les propos ou sait qu’il peut aisément y revenir ; la conclusion placée en fin des parties 1 et 3 restitue l’essentiel des apports en vue de débats et d’applications sur le terrain.
La première partie présente six exposés proposant des approches complémentaires du problème de la bonne gouvernance. J.-A. de Clermont (France) traite du renforcement de la gouvernance au sein des églises de la Cevaa et propose les remèdes de la « christocratie » et du consensus. T. Maraea (Polynésie) témoigne du vécu de l’église protestante Maohi. B. Girardin (Suisse) invite à tenir compte des évolutions politiques du début du XXIe siècle pour reconsidérer les trois missions de l’église : prophétique, sacerdotale et diaconale. Pour M. Bertrand (France) la parole publique des églises relève de la prédication au sens large, avec l’autorité et la liberté qui lui sont attachées. C.P. Deh (Bénin) s’attache aux explications du conflit et propose des outils d’analyse, suivi par F. Rognon (France) qui propose huit mesures curatives, sorte de boîte à outils technique pour la gestion des conflits.
Dans la deuxième partie, trois exposés reprennent le thème à partir des textes bibliques classiques sur la question, mais en renouvelant la lecture, souvent de manière très originale et percutante. S.D. Johnson (Cameroun) propose une fiche d’animation biblique proactive sur Ex 18 ; M. Bertrand assied son propos précédent sur une étude d’Ac 16 où la parole chrétienne impacte les domaines économique, judiciaire, carcéral et politique. F. Rognon indique les bases bibliques de la boîte à outils mentionnée ci-dessus (Jn 8 ; Mt 18 ; Ac 5 et 6).
La troisième partie ouvre le débat à travers quatre contributions montrant comment les églises perçoivent les défis d’aujourd’hui et tentent de se situer par rapport à eux. C. Kiki (Bénin) souligne l’indispensable formation des leaders et en appelle à leurs qualités d’adaptation aux contraintes et aux enjeux des communautés qui leur sont confiées. M. Bertrand préconise la naissance d’une « autorité coopérative » entre les pasteurs et les laïcs. B. Girardin suggère la mise en place de procédures de « redevabilité » pour éviter les abus d’autorité ou de pouvoir en faisant de nombreuses propositions. La théologienne F. Houssou-Gandonou (Bénin) évoque le peu de place des femmes dans les instances dirigeantes des églises et propose des pistes pour combattre toute forme de discrimination. Malgré sa contribution et son plaidoyer, elle ne figure pas dans la présentation des contributeurs ouvrant l’ouvrage, limitée aux hommes !
Nous aurions attendu le regard des églises malgaches et d’Amérique latine car le vécu de leurs communautés aurait pu apporter des éléments complémentaires à la réflexion et des pistes pratiques à mettre en œuvre : ce sera peut-être l’objet d’un second volume ?
Il n’est pas possible de rendre compte de toute la richesse de cet ouvrage en quelques lignes. Notre attention a surtout été retenue par les analyses de B. Girardin sur le fonctionnement des sociétés actuelles et ses propositions en éthique politique au service des populations et non des tenants du pouvoir.
Gageons que le modèle de conversion proposé dans cet ouvrage par la Cevaa pour nos sociétés actuelles à tous les niveaux, économique, politique et religieux rencontre la volonté et la constance de tous les acteurs.
Daniel Bach
Libresens n°226, juillet-août 2016
Philippe Aubert
Gabriel Vahanian, Penseur de l’utopie chrétienne
Olivétan, 2016, 118 p., 14 €
Gabriel Vahanian, décédé en 2012, est un des théologiens protestants majeurs du XXe siècle. Il a été professeur de théologie systématique à Syracuse (État de New York), puis à la faculté de Théologie Protestante de Strasbourg. C’est en 1961 qu’il publie un livre au titre iconoclaste : La mort de Dieu. La culture de notre ère postchrétienne.
Théologien et croyant jusqu’à la fin de sa vie, il n’entendait pas cette expression au sens de Nietzche, mais cherchait à montrer que notre culture moderne s’était largement émancipée par rapport aux grands principes bibliques. Si le monde dans lequel nous vivons est fondamentalement différent du monde biblique, de celui du Moyen Age, de la Renaissance etc., c’est avant tout à cause de la technique, qui a bouleversé notre manière d’être au monde. Le christianisme aurait-il alors pour vocation de devenir une sorte de contre-culture, une négation du monde ? Sûrement pas... Il faut au contraire se demander comment être encore le levain de ce perpétuel nouveau monde qui n’en finit pas de naître sous nos yeux.
Notre vocation n’est pas de changer DE monde (Royaume de Dieu à la fin des temps) mais de changer LE monde…
Infatigable exégète de l’Écriture Sainte, lecteur et commentateur exigeant des Pères de l’Église, des Réformateurs et des théologiens plus récents (Barth, Bultmann…) Gabriel Vahanian a voulu, jusqu’à la fin, être un acteur et un penseur de la tâche de la théologie d’aujourd’hui.
Yves Gounelle
Libresens n°226, juillet-août 2016