Publié le : 2022-06-22 18:02:34
Aaron Tugendhaft est un universitaire spécialiste du Moyen-Orient et son champ d’investigation va de l’antiquité au monde contemporain. Ces questions le touchent aussi personnellement, car une partie de sa famille est une famille juive irakienne ce livre lui est dédiée. Il évoque dans l’introduction l’Irak de son grand-père, un pays à l’époque pluriethnique où juifs chrétiens et musulmans vivaient ensemble, il écrit : « Tous partageaient une même langue et travaillaient ensemble à la construction d’un Irak nouveau» puis les choses se sont dégradées, les communautés se sont déchirées provocant le départ des communautés. Les premiers à partir furent les Juifs puis les chrétiens et aujourd’hui les musulmans d’Irak sont divisés entre sunnites et chiites les quartiers sont séparés par de grands murs.
Aaron Tugendhaft,
La destruction des idoles
D'Abraham à l'Etat islamique
Labor et Fides 2022, 190 pages 19 €
L’auteur a écrit ce livre à la suite du saccage du Musée de Mossoul en 2015 par l’État islamique et notamment les vidéos qu’en ont fait les djihadistes. Ce qui a frappé l’auteur, c’est une autre image celle d’un bas-relief assyrien qui se trouve seulement à quelques kilomètres de ce musée et qui montre des hommes barbus saccageant une statue. une statue qui ressemble à celles détruite par daesh ! Deux scènes quasi-identiques (des hommes barbus détruisant une statue assyrienne à coup de masse) dans la même région, mais séparée de 3 000 ans.
Aaron Tugendhaft
C’est ce parallèle troublant entre une vidéo et un bas-relief représentant une même scène qui a poussé l’auteur à écrire ce livre.
Ce livre qui est une réflexion à notre rapport aux images leurs forces politiques et la signification de leurs destructions.
Le thème est vaste en France aussi nous avons connu à deux reprises des destructions d’images pendant les guerres de religion et pendant la révolution française. Mais Aaron Tugendhaft illustre ici son analyse uniquement sur cette scène filmée et mise en scène par l’État islamique.
Que voyons-nous sur ce film ? Des idoles, ou en tout cas des statues considérés comme tell, un musée et une vidéo. Ces trois éléments constituent les trois parties du livre.
Il commence donc par une analyse très intéressante sur ce qu’est une idole ou une image. L’image est pour lui le propre de l’homme, seul le Dieu universelle n’a pas d’images puisqu’il est universel, mais l’être humain lui a besoin d’images, de représentations, pour lui, elles sont essentielles à l’être humain indispensable à la communication et à la politique qui est pour l’auteur l’essence de la vie humaine, c’est dire l’échange la confrontation d’idées etc.,,,.
Aucun humain n'est sans images et lorsqu’on détruit les images des autres, c’est pour imposer sa propre image. Image au sens large du terme, il s’agit aussi bien d’idées de cultures que de représentations et de symboles. Daesh, c’est attaqué à un musée a fait de cette attaque une vidéo mise en scène donc par cet acte impose une autre image
Dans la deuxième partie du livre, l’auteur examine ce qu’est un musée, un musée qui abrite des images Assyrienne ses bas-reliefs et ses statues objets que l’on retrouve aussi dans les grands musées occidentaux à Londres et a Paris. Que signifie pour nous la civilisation Assyrienne Babyloniennes ? Pourquoi avoir traîné des objets aussi volumineux sur les milliers de kilomètres pour les exposer en Europe à l’époque coloniale ? il évoque aussi l’instrumentalisation de cette culture par le régime baasiste (le régime nationaliste arabe en place en Irak avant 2003 et renversé par les États-Unis) l’auteur évoque les immenses peintures de propagande en l’honneur de Saddam Hussein le représentant en roi assyrien.
Et enfin la troisième partie analyse la vidéo créée par Daesh Vidéo qui est bien entendu une autre image. Il analyse dans cette partie la communication de Daesh qui passe par tous les supports modernes que sont les réseaux sociaux et surtout les jeux vidéo dont l’Etat islamique a repris les codes. Il fait aussi un parallèle très savoureux entre les bas-reliefs assyrien et les réseaux sociaux. Car comme dans les bas-reliefs qui représentent les peuples soumis, apporter des offrandes au souverain, dans les réseaux sociaux, nous apportons à Facebook YouTube et autre Twitter nos photos, nos vidéos, nos écrits, etc. ….
C’est un livre très stimulant intellectuellement qui ne juge pas, mais qui interroge. Comme il le dit dans l’épilogue :
"Aussi, longtemps, que nous serons des êtres politiques, nous vivrons avec des images. Dès lors, comment naviguer entre iconoclasme et idolâtrie ? Si nous souhaitons être des citoyens libres, alors il nous faut constamment ausculter ces images, considérer leur histoire, se demander pourquoi elles ont été choisies, mais aussi ce qu’elles dissimulent ou laissent de côté (…) Plutôt que de nous soumettre simplement à elles, ou de les briser, mieux vaux en effet chercher à les faire parler. " (cf p 179)
C’est un livre qui participe à la compréhension de notre monde complexe en pleine mutation et de ces confrontations.
Romain SECCO
Vidéo de présentation du livre :