Publié le : 2020-06-24 13:16:18
Catégories : Recensions
C’est un grand évènement éditorial que les Editions du Cerf ont décidé de réaliser pour leur quatre-vingt dixième anniversaire : la publication en français, dans une version revisitée de la traduction de référence par le Grand Rabbin Zadoc Kahn, de « la Bible de Rachi ».
Ce livre, inconnu de la plupart des français, est considéré par toutes les générations de juifs de toutes les mouvances hébraïques comme la quatrième révélation du Livre hébraïque après la Torah (la loi écrite) , le Talmud ( la loi orale) et la Cabale (la révélation mystique) .
Tome 1. Le Pentateuque
Editions du Cerf
2019
944 pages
39€
Rachi est l’acronyme formé des initiales en hébreu de Rabbi Salomon Fils d’Isaac. L’auteur de cet ouvrage, né à Troyes, en Champagne, aux alentours de 1040 et mort dans cette même ville en 1105, est un personnage extraordinaire d’une période que nous ne connaissons que très mal.
Période exceptionnelle dans notre histoire où les communautés juives étaient accueillies de manière tolérante dans ces marches de l’Empire comme la Champagne où elles s’installaient au croisement d’importantes routes commerciales.
Fils de rabbin, Rachi fut lui-même rabbin, mais aussi poète, juriste, et il exerçait parallèlement la profession de vigneron et de commerçant en vins. En bon entrepreneur, il plaida pour vendre du vin aux « gentils », parce que c’était souhaitable pour prospérer.
Il était aussi un exceptionnel exégète, un érudit éminent, s’exprimant dans une langue de grande qualité, tant en hébreu qu’en français de l’époque. Il maîtrisait parfaitement la langue d’oïl, et son commentaire contient environ quatre mille termes français qu’il n’hésita pas à retenir lorsque le mot juif ne lui convenait pas. Cela fait de son commentaire une source d’informations inestimable pour ceux qui étudient l’ancien français.
Pourquoi ce livre est-il un des textes fondateurs du judaïsme ? Avant Rachi, le courant dominant du judaïsme rabbinique avait détourné les juifs de l’analyse du texte biblique au profit de commentaires, qui s’en éloignaient souvent, en raison de multiples allégories et légendes brillantes mais parfois confuses..
Rachi est celui qui recentra l’étude de la Bible vers une compréhension du texte biblique lui-même, verset par verset, mot par mot. Il travailla à rendre le texte des Ecritures compréhensible pour tous, témoignant d’une grande maîtrise linguistique comme d’une clarté subtile et audacieuse, mais finalement pleine de bon sens.
Rachi se place derrière ceux qui affirment que la raison est la seule forme acceptable de la vérité, et donc de la compréhension de la foi. C’est en cela qu’il arrive à nous faire partager l’universel à partir du particulier.
Peu d’œuvres connaîtront une telle postérité. Luther notamment s’en inspira pour sa propre traduction en allemand de l’Ancien Testament. C’est pourquoi les commentaires de Rachi sont communément appelés la Bible de Rachi, terminologie trompeuse pour quelqu’un qui voulait justement témoigner par son œuvre de sa fidélité au Texte.
Ce volume très copieux et dense mais aussi très clairement présenté se lit comme un ouvrage de référence, certainement pas en une traite. Il est destiné à un public averti. Il sera suivi prochainement d’un second tome comprenant les commentaires des Prophètes et des Hagiographes.
C’est en quelque sorte une Bible commentée où les pasteurs, les théologiens et au-delà les amateurs du Premier Testament viendront régulièrement se ressourcer pour améliorer leur compréhension du Texte et des expressions clefs de certains livres essentiels mais complexes.
Il mérite à ce titre de figurer en bon rang dans les bibliothèques des paroisses. Au-delà, il constitue un témoignage extraordinaire sur le judaïsme, sa compréhension de la foi comme un dialogue entre l’homme et Dieu pour dégager une éthique de vie, ainsi que sur une époque méconnue et apparemment lointaine où pourtant l’essentiel semble avoir été perçu.
Alain Joubert