Publié le : 2016-09-19 12:47:45
Karl Barth
Traduit par Pierre Jundt. Avant-propos de Christophe Chalamet
(Labor et Fides, 2016, 514 p., 29 €)
En ré-éditant la traduction française du commentaire de Karl Barth sur l’Épître aux Romains (la plus connue des lettres de l’Apôtre Paul), les éditions Labor et Fides remettent à la disposition du public francophone un classique de la littérature théologique protestante.
On ne présente plus Karl Barth (1886-1968), l’un des plus célèbres théologiens protestants du 20e siècle. Éduqué au sein du protestantisme libéral germanophone, le théologien suisse s’est très vite démarqué de ses maîtres par une approche théologique rafraîchissante et percutante. Comme pour le grand réformateur Martin Luther, c’est l’étude de la lettre de Paul aux Romains qui semble avoir joué le rôle de déclencheur dans l’approche nouvelle du pasteur réformé. Son premier ouvrage a donc été ce commentaire de l’Épître aux Romains qui fut publié en allemand à la sortie de la première guerre mondiale, fin 1918 (Karl Barth n’avait alors que 32 ans !).
Fort de son succès, le livre fut ensuite profondément modifié par l’auteur et réédité plusieurs fois. La présente édition est une réimpression de la deuxième version du livre, avec l’excellente traduction française de Pierre Jundt datée de 1972. L’éditeur y a toutefois ajouté un avant-propos du Professeur Christophe Chalamet (Université de Genève) qui livre quelques clés pour la lecture et rappelle l’actualité de l’ouvrage.
Le commentaire de Karl Barth est quelque peu atypique : il s’agit d’un commentaire théologique. En rupture totale avec les éminents biblistes allemands de son temps adeptes de la méthode historico-critique, Karl Barth ne cherche pas à reconstituer l’histoire du texte, ni à le disséquer à partir du grec, ni même à reconstituer le contexte historique d’origine. Le théologien prend le texte biblique tel qu’il est et le commente verset par verset, sans aucune introduction, ni rappel historique, ni même explication sur sa propre traduction (pourtant parfois surprenante!). En effet, s’il est bien un écrit biblique qui se prête à un commentaire théologique, c’est la lettre de Paul aux Romains. Il s’agit probablement du texte du Nouveau Testament le plus théologique : l’Apôtre s’y livre à une profonde réflexion sur Dieu, sa connaissance, son jugement, sa grâce, son salut, sa Loi, son fils Jésus-Christ ou son Esprit. Voilà ce qui intéresse l’éminent théologien qu’est Karl Barth : montrer ce que ce texte biblique nous dit sur Dieu. Par conséquent, le commentaire n’est pas une explication de texte, mais un développement théologique à partir du texte de Paul.
Karl Barth nous parle donc de Dieu. Il nous le présente comme le «Tout-autre», un Dieu qui ne se laisse pas enfermer dans le carcan de nos représentations. Il dénonce l’attitude de ceux qui refusent cette transcendance absolue de Dieu et qui cherchent à s’en faire un Dieu à leur convenance ou qui prétendent pouvoir connaître Dieu par eux-mêmes. Il rappelle la nécessité du Jugement, ce «non» de Dieu au «non» qui lui est adressé. Il souligne le paradoxe du salut en Jésus-Christ, ce «oui dans le non» où le «Tout-autre» prend l’initiative de se révéler en la personne d’un serviteur qui meurt sur une croix. Il nous explique que c’est par le miracle de la foi que Dieu nous révèle la résurrection par laquelle nous pouvons devenir un «homme nouveau» dans un «monde nouveau».
Karl Barth nous livre ici les prémices de sa réflexion théologique qu’il développera au fil de ses nombreux écrits postérieurs, et notamment au sein de sa massive et célèbre Dogmatique. Le commentaire de l’Épître aux Romains est donc une porte d’entrée privilégiée à la pensée de Karl Barth, puisqu’elle nous permet d’en voir les racines bibliques. Il faudra, certes, faire l’effort de se plonger dans la pensée complexe, voire tortueuse, du grand théologien. Karl Barth n’est pas facile à lire et il faut s’habituer à ses néologismes, son style un peu décousu, et ses envolées lyriques. Le bibliste que je suis a pu aussi quelquefois sourciller face à la liberté que le théologien prend face au texte : c’est à se demander parfois si Karl Barth n’utilise pas le texte biblique comme un prétexte pour développer sa propre réflexion théologique. Toutefois, lorsqu’on fait l’effort de s’y plonger, la pensée de Karl Barth ne laisse personne indifférent : elle nous interpelle sur notre conception de Dieu et brise quelques «images» que nous en avions façonnées. Ce n’est donc pas par hasard si l'Epître aux Romains "selon" Karl Barth, est un incontournable de la théologie protestante.
Timothée Minard