Publié le : 2016-06-06 10:44:20
Je ne pense plus voyager : La mort de Charles de Foucauld
François SUREAU
Gallimard, Collection Blanche, 2016, 154 pages, 15 euros
Charles de Foucauld est mort le 1er décembre 1916 dans le fortin qu’il avait construit près de son ermitage où il s’était retiré à Tamanrasset (dans le Sahara algérien).
C’est par cette phrase dont la sobriété est typique d’un rapport policier que commence ce livre inclassable, au titre paradoxal concernant ce grand voyageur qu’était Charles de Foucauld.
La légende du Père Charles de Foucauld est à la hauteur des ruptures qu’a connues sa vie:
Né à Strasbourg le 15 septembre 1858 au sein d’une famille aristocrate, orphelin à l’âge de 6 ans, il est (mauvais) élève à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr où il devient agnostique. Officier de l’armée française, il en démissionne très jeune après de nombreuses sanctions liées à une vie dissolue. Il découvre l’Algérie et le Maroc dans son nouveau métier d’explorateur. Puis, après avoir été tenté par l’Islam et le Judaïsme, il revient au Catholicisme lors d’un séjour à Paris en 1886-1887. Attiré par certaines formes de mysticisme, il choisit de quitter la métropole et de mener une vie de pauvreté et de solitude dans des monastères en Syrie et à Nazareth, avant de se fixer à compter de 1901 dans le Sahara. Il se lie notamment à la population touareg, au milieu de laquelle il vit en rédigeant un dictionnaire français-touareg. Il est tué dans des circonstances non élucidées en 1916.
Plusieurs biographies, études ou œuvres lui ont été consacrées (dont celle de René Bazin en 1921, qui a remporté un grand succès, mais qui, pour François Sureau, ne raconterait que des niaiseries).
L’auteur est aussi inclassable que son héros .Avocat après avoir été membre du Conseil d’État, François Sureau a écrit plusieurs ouvrages, dont le plus connu, Inigo (2010) porte sur la vie d’Ignace de Loyola.
Sa marque très particulière se retrouve dans cette approche de la mort comme de la vie de Charles de Foucauld, dont on se demande vite si ce n’est pas un prétexte pour aborder tout autre chose: l’Orient et l’Occident, le désert, la vie coloniale, les destinées des gens ordinaires, les ruptures, les échecs et la façon de les surmonter ou de les assumer, et bien sûr, la conversion, la foi, la quête de l’absolu…
De fait, le récit (c’est sa grande force) est une suite d’aller-retours, de galeries rapides de portraits et de brèves tranches de vie. Tout est volontairement effleuré et elliptique. Et on ne pourra jamais aller au-delà d’approches ou d’impressions sur «ce qui avait conduit là-bas le père Charles».
Ce récit est tout empreint, du début à la fin, par la désillusion, le désenchantement, voire une sourde inquiétude sur le sens de la vie. Le Sahara n’est pas du tout un lieu d’épanouissement, car «le désert n’est pas un endroit où on peut se sentir libre». Tamanrasset n’est qu’un amas de cailloux. Le père Charles aurait échoué à comprendre ou conserver ses quelques amis, et plus encore, n’aurait converti personne au Christianisme… Dans cette méditation, les échecs et les manquements prédominent de très loin sur les hauts faits et les victoires.
Longtemps après sa mort, celui qui avait de son vivant «à peine griffé la surface de la terre» est devenu une légende, mais l’Église Catholique ne l’a ni canonisé ni déclaré mort en martyr. Ce livre n’a pas pour objectif de statufier un homme aussi complexe, mais de donner quelques repères sur un itinéraire tortueux, fait de ruptures voire de reniements. On est vite fascinés par ce Père Blanc haut en couleurs qui se manifeste par ses excès, son goût immodéré de la liberté et de la solitude, et sa foi qu’il vit d’abord comme une quête de l’absolu, de manière iconoclaste.
Homme de son temps, de Foucauld n’a pas eu autant d’influence qu’il n’a été influencé. C’est ainsi qu’il soutint la position de Lyautey, Gouverneur des colonies, qui passe aux yeux de l’opinion pour trop tendre ou compréhensif mais qui a proclamé «Je ne suis pas venu régner sur un désert, mais rallier des âmes».
On ressent parfois que l’auteur se cherche lui-même derrière celui qu’il fait l’effort de «disséquer» sans prétendre percer ses secrets. Il rédige d’ailleurs une partie de son récit à Notre Dame des Neiges, en Ardèche, l’Abbaye où de Foucauld fit ses vœux et fut trappiste. Et l’écriture du livre épouse profondément ce que l’on devine être le caractère du père Charles: un style sec, âpre, sobre –comme le désert – et une tonalité pessimiste évoquant la radicalité d’un héros qui se retire progressivement dans une solitude même pas choisie.
Un très beau livre, une puissante méditation sur la force et les limites de la quête de l’absolu.
Alain Joubert