Publié le : 2023-03-08 13:56:16
Iacopo Scaramuzzi (I.S.) est un journaliste italien, il couvre l'actualité vaticane pour différents médias. Dans cet ouvrage I.S. retrace l'histoire des différents courants populistes et de leurs épigones qui utilisent certaines idées, traditions, valeurs du christianisme comme faire-valoir de leur idéologie.
Dans ce livre l'auteur énumère pêle-mêle :
Matteo Salvini en Italie qui embrasse systématiquement un chapelet lors des rassemblements politiques et au Sénat, Donald Trump aux Etats-Unis qui en dépit de sa vie maritale tumultueuse et ses blagues grivoises n'hésite pas à s'afficher avec des télé-évangélistes lui prophétisant la pleine bénédiction divine autour du bureau ovale alors qu' "il ne savait même pas citer correctement la moitié d'un verset de la Bible, allant jusqu'à dire que le pardon de Dieu ne l'intéressait pas parce qu'il n'avait rien à se faire pardonner." (p. 43).
Dieu ? Au fond à droite.
Quand les populistes instrumentalisent le christianisme,
Iacopo Scaramuzzi, trad. de l'italien par Muriel Lanchard
(éd. originale 2020), Salvator, 2022, 150 pages. 14.22 €
Nous y trouvons aussi Douguine, l'idéologue du maître du Kremlin, un certain Vladimir Poutine le "Tsar de l'orthodoxie" mêlant allègrement la nostalgie de l'ex Union Soviétique et les valeurs traditionnelles du christianisme orthodoxe, embrassant les icônes et fustigeant les occidentaux qui ont "perdu leurs racines chrétiennes" (p. 54). Prônant une renaissance du christianisme orthodoxe, celle-ci va de pair pour le tsar de l'orthodoxie avec des lois contraignantes pour la liberté religieuse qui placent la religion orthodoxe comme "supérieure à toutes les autres confessions" (p. 56). Manifestement, la liberté de conscience affirmée péremptoirement par V. Poutine est contredite dans les faits puisque catholiques aussi bien que protestants - et plus particulièrement les courants évangéliques - sont victimes de discriminations et d'accusations constantes de prosélytisme[i]. Et l'auteur de conclure le chapitre Poutine avec cette phrase : "Avec un retournement déconcertant de l'histoire, la Russie est devenue, en quelques années, le phare de la pensée conservatrice et des leaders populistes de droite du monde entier." (p. 60)
Iacopo Scaramuzzi
En Hongrie Victor Orban justifie sa politique nationaliste et anti migratoire en réécrivant la Bible : certes dit il, il faut aimer son prochain mais l'évangéliste Marc a dit "son prochain et nous-mêmes" (p. 77). D'aucuns apprécieront cette subtile exégèse qui ne respecte même pas le texte biblique en le déformant puisque le texte de l'évangile dit précisément "aimer son prochain comme soi-même". Au Brésil, Jair Bolsonaro qui se fait baptiser au Jourdain par un pasteur pentecôtiste alors qu'en réalité il est un catholique approuvant la consécration de son pays au cœur immaculé de Marie (p. 81).
Dans nos pays européens, les populistes utilisent le concept de "racines chrétiennes de l'Europe" sans jamais définir ce qu'ils entendent par "racines chrétiennes". Même le pape François dit qu'une église de chrétienté telle qu'elle a vu le jour sur les ruines de l'empire romain, n'existe plus aujourd'hui et que tout est à faire, l'Europe est à évangéliser. En France Eric Zemmour et sa reconquête qui est un remake de la Reconquista des très catholiques rois d'Espagne expulsant les juifs en 1492.
I.S. démontre qu'en réalité, tous ces leaders populistes ne défendent pas le christianisme et son évangile "ils l'instrumentalisent pour s'adresser à ceux qui ont un peu peur des changements", et qui sont il faut bien le dire, les perdants de la mondialisation (p. 61). Ce christianisme folklorique est utilisé comme appui idéologique : " la référence au catholicisme de la part des populistes n'est pas un appel au retour des valeurs chrétiennes, c'est simplement un marqueur identitaire pour fermer la porte à l'islam en Europe." (p 108).
Pour conclure : A l'heure où certains chrétiens, par peur de l'islam, pourraient être tentés par le vote populiste, un livre édifiant qui révèle le dessous des cartes, un livre utile au discernement. De la même façon que Simon le magicien voulait acheter de l'apôtre Pierre le pouvoir de transmettre le St Esprit (Act 8, 18, la simonie ou trafic des charges ecclésiastiques), I.S. nous décrit le visage du populisme qui détourne la foi à des fins politiques, ils "se servent du sacré pour marquer leur territoire, identifier leurs ennemis, éradiquer la diversité... Ils prétendent défendre le christianisme, mais ils le transforment, malheureusement, en une idéologie pétrifiée, un squelette, un monument aux morts." (p. 127)
Thierry Rouquet
[i] Cf. la revue, art " Religions, pouvoir et société, Europe centrale, Balkans, CEI " in Le Courrier des pays de l'Est 2004/5 (n° 1045), Éd. La Documentation française.